États-Unis | France | Europe
Pour cet éditorial de rentrée de l’automne 2012, après ma rentrée radiophonique en duplex et en live sur HDR, je vais faire ici une chose de celles que j’aime le mieux : digresser à tout bout de champ ! Histoire de rester un peu encore la tête dans les vacances, mais tout en vous proposant des sujets d’actualité sérieux. En vérité, il n’est guère aisé de relever le défi que je me suis lancé de traiter à la fois de ce que j’observe aux États-Unis (je vous parlerai de la course à la Maison Blanche prochainement) et de mon regard de récent expatrié sur la France et sur l’Europe …
Parmi ce qui me frappe, en cette année 2012 durant laquelle je m’installe durablement à Washington, DC, c’est la force avec laquelle s’imprègne en moi un sentiment : ce pays doit être l’un des plus haïs au monde, si ce n’est le champion de la haine affirmée par nombre de citoyens d’autres pays. Ce sentiment se traduit, notamment, par l’observation des drapeaux, très présents aux États-Unis : ils sont en berne un jour sur deux ! Les tueries dans le pays – je pense au Colorado, en particulier – les attentats (dont celui de l’ambassadeur américain en Libye ou les attaques contre les ambassades ou écoles américaines, à Tunis notamment, suite à la sortie du film américain islamophobe The innocence of Muslims). Bien sûr, il y a aussi la disparition régulière de personnalités politiques ou de cinéastes et d’acteurs qui explique aussi souvent la chose. Nulle part je n’ai vu auparavant, durant mes séjours ou résidences plus longues dans d’autres pays, une telle manifestation d’hommage à la mémoire de récents disparus. Et l’on sait l’importance de la présence américaine à l’étranger, le plus souvent exprimée par la projection de forces militaires dans des conflits guerriers. Est-ce à dire qu’être le pays le plus puissant du monde suppose le sacrifice d’hommes et de femmes sur l’autel de vengeances aveugles ? Ou n’est-ce pas plus exactement les choix de politique étrangère des États-Unis qui génèrent cette haine ? Peut-être que le fait d’une telle politique est inéluctable pour demeurer la nation la plus puissante … Peut-être que cet état de choses résulte aussi en partie de la géographie états-unienne elle-même. S’il y a une chose que les Américains ont commencé à comprendre après le 11 septembre 2001, c’est que la position géographique qui isole le pays de la majeure partie du monde (le pentagone – avec un petit « p » – ne disposant de frontières qu’avec le Mexique et le Canada, pour ainsi dire, si l’on excepte Cuba et les autres pays qui ne partagent que des frontières maritimes avec les États-Unis) ne garantit en rien une protection contres des attaques attendues lointaines. Les quatre appareils qui se sont écrasés sur les Twin Towers du World Trade Center à New York City, sur le Pentagone – avec un grand « P » – quartier-général des forces armées ainsi qu’en Pennsylvanie (mais dont la cible plus que probable, selon le sources officielles, était la Maison Blanche) ne courraient pas sur des vols internationaux mais sur des lignes intérieures. La menace a-t-elle donc émané de l’intérieur même du pays.
Les États-Unis sont un grand pays d’immigration. Est-ce à dire que cela représente un danger pour la sécurité nationale ? D’aucun l’affirmerait avec conviction. Mais ce serait un raccourci dangereux pour la Démocratie que de se laisser abuser par une telle contre-vérité. La France n’est-elle pas, elle aussi, un pays dont la tradition d’accueil des émigrants s’inscrit avec force dans la mentalité de toute une société ? Et n’est-elle pas un pays dont la présence militaire à l’étranger porte parfois à controverse ?
Bien entendu, rien n’est simple. La France a une relation beaucoup plus ambigüe à l’égard de son immigration que les États-Unis. Parce que la France, comme beaucoup de ses voisins européens, est un pays d’où, historiquement, on part coloniser le monde, davantage qu’un pays où l’on arrive. Cette distinction est fondamentale pour comprendre les différences d’intégration des migrants en France et aux États-Unis. La France, ce grand pays qui se targue chaque jour – et pas seulement à travers ses nombreuses « usines à gaz » de la pensée – d’être « le pays des Droits de l’Homme, et dont de récents gouvernements n’ont pas hésité à stigmatiser (pour ne pas dire à persécuter) un peuple tout entier, en le nommant formellement sur des notes interministérielles (j’évoque bien entendu les Roms) tout comme le gouvernement de Vichy l’avait préalablement commis à l’égard des juifs, en particulier, dans de bien sombres heures de l’Histoire que chacun connaît … À travers un tel acte, le gouvernement français s’est rendu coupable, aux yeux de la communauté internationale et au regard d’une définition de Droit international, d’épuration ethnique. Sans toutefois le ponctuer, cette fois, par un génocide, conviendra-t-il de préciser … Ce grand pays, la France, donc, mon pays de naissance, au sein duquel il ne fait toujours souvent pas bon être arabe ou africain sub-saharien, ne sait toujours pas, globalement, reconnaître sa propre identité et l’assumer, voire la revendiquer. Or, citoyen français, je revendique pour ma part une identité nationale à laquelle j’appartiens, et qui porte bien plus loin que les quatre coins de l’hexagone (on aura ici coutume d’y mettre une majuscule … mais, au regard de la présente lecture, pour quoi donc faire !?). Je suis issu d’une famille de pied-noirs dont les racines plongent aussi en Gascogne mais encore vers l’Andalousie, l’Angleterre et l’Écosse, la Sardaigne, l’Italie, l’Égypte et la Suède, et avec des attaches fortement ancrées en Afrique du Sud, en Australie, au Liban, en Hongrie ou aux États-Unis … J’en oublierais même presque la Suisse ! Que dire de cette idée d’être « Français de souche » à celles et ceux qui s’en enorgueillent si aveuglément !? À part chasser cette idée d’un simple revers de la main, quitte à passer pour être habité par l’arrogance intellectuelle par ailleurs tant observée chez nombre de mes compatriotes, je ne vois aucune réponse idoine, si ce n’est de proclamer que l’École de la République n’a pas rempli sa mission et qu’elle continue, sur ce point essentiel, de faillir. Or, un peuple qui méconnaît à ce point sa propre identité se met en danger. Que peut-il advenir dans un tel contexte, sinon le développement de sentiments nationalistes xénophobes et l’enracinement de l’extrême-droite dans le paysage politique !?
Qu’est-ce qu’être patriote, sinon aimer son pays au point de dénoncer cette bêtise et combattre « l’affront national » !? Brandissez un drapeau tricolore, chantez la Marseillaise, la main sur le cœur, et vous passerez pour fasciste ! Aux États-Unis, vous serez un patriote. En Israël comme en Palestine, vous serez un digne combattant pour le bien de votre peuple … Et si nous cessions, un instant (commençons par un commencement …) de brandir nos oripeaux comme s’ils étaient les plus beaux, les meilleurs, les plus grands, les seuls véhicules au monde de la dignité, de la raison et de l’honneur !? Et si nous cessions par la même occasion de nous cracher les uns sur les autres !? Nul ne doit baisser son drapeau ou avoir honte de son hymne national (quand bien même les paroles sont issues d’un contexte historique qui les teintent d’une vindicte martiale), mais chacun doit veiller à ce que tous puissent lever leurs couleurs en harmonie.
En Europe, le sentiment d’appartenance à un ensemble construit est aussi fragile que rare. Parce que l’Europe n’est pas une nation. Parce que cet ensemble vit au rythme de langues différentes et nombreuses, souvent étrangères pour la plupart des citoyens européens. Un jour, peut-être, aurons-nous définitivement rejeté l’idée de quelques-uns d’uniformiser notre langage mais cesserons-nous également de qualifier ces langues d’étrangères … Faut-il le rappeler : c’est un demi-milliard d’individus, au sein de l’Union, qui disposent de la citoyenneté européenne, parallèlement à leurs citoyennetés nationales. Il suffit de jeter un œil sur la couverture de nos passeports pour se rafraîchir la mémoire …
L’Europe vit aujourd’hui un grand débat, dont il faut espérer qu’il dure jusqu’à ce qu’il connaisse une issue productive : devons-nous – et pouvons-nous – bâtir une fédération européenne ?
José M. Barroso amène aujourd’hui ce débat, et je me réjouis de cette heureuse surprise de la part du président de la Commission européenne, dont je ne partage habituellement pas une bonne part des orientations. Cela étant dit, il évoque assez curieusement l’idée d’une fédération d’États-Nations, ce qui est pour le moins un pur OVNI institutionnel … mais le modèle actuel de l’Union Européenne, pour moitié communautaire et pour moitié intergouvernemental, est déjà un spécimen unique en l’espèce !