Je ne compte plus les paradoxes que j’ai l’occasion d’observer depuis ces derniers mois au cœur de la société américaine… Nous sommes le mardi 6 novembre 2012, à Washington, DC. Il convient de souligner que si je précise non seulement le quantième mais aussi et surtout le jour, c’est pour mettre l’accent sur la différence de tradition entre la France, ou les scrutins se déroulent le dimanche, et les États-Unis, qui ont adopté le mardi pour élire leurs représentants. Première observation, et réponse à une première interrogation : ce jour n’est pas chômé. Cela étant, il est intéressant de rappeler que le dimanche américain est beaucoup moins chômé que le dimanche français …
Ma première grande surprise a été plaisante : le vote appelle les citoyens américains à exprimer leur choix pour le prochain président, mais également pour leur député, leur sénateur (ici élu au suffrage universel), le président du Conseil municipal (distinct du Maire) mais encore – ici dans le District de Columbia – pour trois amendements à la législation locale (je ne dis pas d’État, étant donné que le District s’ajoute aux cinquante États de la fédération) … et le tout sur le même bulletin de vote ! Mais je reviendrai à cela dans un instant …
Ma deuxième surprise fut de découvrir le taux habituel de participation … et je me souvins soudain de ma réaction d’éternel râleur face à une abstention de 20 % au printemps dernier le soir du second tour de l’élection présidentielle française, score que je trouvais désagréablement symptomatique d’une habitude française qui tend généralement à une abstention croissante … l’habitude américaine, en revanche, semble plus stable … autour de 50 % !!
Et pourtant, ce matin, entre 7:00 et 8:00, j’ai pu observer entre 300 et 400 électeurs faisant la queue dans le froid devant plusieurs bureaux de vote de la capitale … j’en reviens donc au fait que nous soyons un mardi – jour non chômé, faut-il le rappeler … – et que ces citoyens se rendent pour la plupart sans doute au travail une fois leur devoir accompli. D’autres, certainement, viendront remplir cette obligation morale (le vote n’est pas obligatoire ici non plus, vous l’aurez compris lorsque je vous parlais du taux d’abstention …) en fin de journée … peut-être sera-ce le calme plat en pleine journée … difficile à dire, vu que les bureaux de vote n’affichent pas comme en France le taux de participation chaque heure …
La tenue des bureaux de vote, tiens, parlons-en ! Autant je trouve personnellement intelligent de grouper les scrutins – ce qui est très contraire à la coutume française … – autant il y a ici une façon de procéder qui me sidère, tel un naïf attaché à une tradition démocratique basée sur une exigence de transparence et de garantie … Un bureau de vote à Washington, comment ça marche ? Vous entrez dans le bureau après une queue interminable dans le froid extérieur, vous recevez un bulletin de vote sous forme d’un formulaire à remplir après avoir fait vérifié votre identité en présentant votre driver licence, quel que soit l’État qui l’a émis (c’est la pièce d’identité la plus répandue, la carte d’identité n’étant ici pas obligatoire et utile que dans les rares cas ou vous n’avez pas de permis de conduire …), vous vous posez sur un coin de table haute ou vous aurez eu la chance de trouver un crayon à papier que personne n’aura embarqué avant votre passage (mais si vous êtes prudents, vous aurez apporté le vôtre, le stock sur place étant très limité …) et vous cochez les cases qui désignent les candidats que vous choisissez, pour la présidence du pays, pour les sièges de député et de sénateur, pour la présidence du conseil municipal (distinct de la fonction de Maire), et vous votez aussi trois amendements (ici, à Washington) concernant la législation locale. Enfin, vous insérez votre formulaire dans une machine qui scanne votre bulletin, et vous ressortez affronter le froid et les intempéries, fier du devoir accompli, et vous filez vers le métro le plus proche, l’arrêt de bus ou la station de vélos (voire votre voiture …) pour vous retourner travailler ou vous y rendre, ou vaquer aux occupations prévues de votre agenda …
Le soir, vous vous rendez – par exemple – dans un bar de la ville situé à deux pas (pardon, ici on parle en pieds …. !!) du Capitole pour y retrouver des amis, devant quelques bonnes bouteilles ou quelques bons cocktails, voire quelques bières, scrutant les écrans géants de télévision dont le son est coupé, devinant les données du téléscripteur que couvrent le sous-titrage en espagnol, et vous jouez aux concours de pronostics en remplissant à nouveau un formulaire …. les gagnants remportent une consommation offerte par la maison ! Le service est à pied-d’œuvre … vous sortez percher une blonde à votre bec et un journaliste d’une télévision hispanique de Miami, Floride, vous met le grappin dessus pour recueillir votre avis, vos pronostics … pas encore votre réaction car il n’est que 19 heures … et vous discutez entre confrères du boulot de journalistes couvrant les élections américaines, puis vous retournez au chaud, vider encore quelques chopes, en twittant dès que vous en avez l’occasion …. jusqu’à ce que vous exprimiez les résultats ayant donné la victoire à Barack Obama en décidant d’utiliser une formule limpide et sans appel, sous forme de hashtag : #4moreyears !